Proposition de datation d'un Solidus de Léon II

Léon Ier, dit le Thrace, est élevé empereur par le patrice Aspar en 457. Léon n'arrivant pas à avoir de descendant masculin, il se tourne vers le fils d'Aspar, Patrice, qui s'est marié à sa fille Léontia avant 470. Nous n'avons pas d'information sur l'âge de Patrice mais nous savons en revanche qu'en 459 il est déjà consul et qu'il est nommé César en 470 – donc héritier présomptif de Léon – avant de décéder en 471. Léontia, veuve, va alors être remariée par son père à Marcien le fils de l'empereur d'Occident Anthémius (497-472).

De son côté, Léon II naît en 467 et vivra jusqu'en 474. C'est donc à l'âge de seulement sept ans qu'il s'éteint et les circonstances de son décès restent inconnues. Il est le fils de Zénon et d'Aelia Ariadne, la fille ainée de Léon Ier. Ce petit-fils du souverain fût donc associé au pouvoir. Léon Ier en octobre 473 élève son petit fils au rang de César puis, en novembre, à celui d'Auguste. À la mort de Léon Ier en janvier 474, son petit fils ne résiste pas aux pressions et nomme son père Zénon co-empereur en février. Léon II est seul Auguste durant moins de trois semaines : du 18 janvier au 9 février.

Le solidus que nous analysons montre au revers un petit personnage nimbé et diadémé portant le manteau impérial et tenant un globe crucigère. Dès lors la question se pose : qui est représenté sur cette série monétaire ?

                                                                               Fig 1


Photo d'une monnaie vendue le 11/05/2005 par Numismatica Ars Classica, Auction 29, lot 670, lien vers la vente: https://www.acsearch.info/search.html?id=222443, lien vers leur site: https://www.arsclassicacoins.com/.

 

A/ D N LEO PE – RPET AVG.

R/ SALVS REI – RVBLICAE C _ CONOB.

 

Deux variantes existent, elles montrent un revers où la lettre P de REIPVBLICAE est normale et une autre variante où elle est remplacée par la lettre R comme pour notre monnaie ci-dessus. Erreur ou autre volonté ? Ce n'est pas important pour ce que nous cherchons à comprendre ici. À ce sujet Grierson et Mays (1) ne s'accordent pas avec Kent (2). Deux noms et quatre dates sont possibles. Tout d'abord, la lettre terminale C au revers est analysée par Grierson et Mays comme étant l'initiale de César, alors que Kent estime qu'il s'agit de l'immobilisation de la lettre C en tant que G de l'inscription habituelle AVGGG. Grierson et Mays ne voient aucun problème au fait que le petit personnage du revers porte un diadème tout en étant César. Je rejoins leur avis en ajoutant que les graveurs ne pouvaient pas toujours penser à chaque détail de leur gravure et que, de plus, un empereur est toujours représenté portant le diadème en ce Ve siècle. Pour terminer sur ce point je pense également que le portrait à l'avers, résolument adulte peut avoir incité le graveur du revers à imager un personnage avec tous les attributs habituels d'un empereur.

Grierson et Mays estiment que cette frappe est réalisée entre 470 et 471 date à laquelle Patrice, fils d'Aspar, est nommé César. J'avoue avoir beaucoup de mal à m'accorder avec cette théorie. Il me semble, en préliminaire de ma démonstration, que cette période d'un an peut avoir suffit à produire un bien plus grand nombre de monnaies. Mais ceci n'est pas certain. Par contre ce qui est problématique est l'âge de Patrice à cette date. Si nous ne savons pas quand il est né, par contre il est déjà marié en 470 et surtout il a été consul onze ans avant en 459... Nous aurions donc au minimum un grand adolescent qui serait représenté. Souvenons-nous de Gordien III et ses représentations au revers. Or, il semble tout de même que notre solidus montre un enfant. Si Patrice était représenté alors pourquoi le serait-il seul ? À aucun moment il ne fût seul au pouvoir. Cet autre point nous laisse encore perplexe quant à une représentation de Patrice. Il n'y a pas de cas où un jeune co-empereur est représenté seul au revers. Si tel était le cas et nous ne pouvons totalement l'exclure, nous serions devant une réelle innovation. La question qui vient alors à l'esprit est le choix de la légende. Pourquoi laisser SALVS REIPVBLICAE et ne pas employer une légende à la hauteur de la représentation. Imaginons par exemple LEO ET PATRICIVS... Nous pourrions aussi, si ce personnage fût effectivement figuré, penser que les monnaies montrant les deux empereurs assis puissent nous montrer ce même Patrice. Ne serait-il pas plus logique d'imaginer qu'il s'agisse de Léon II sur toutes ces monnaies ?

Même si nous ne pouvons prouver que Patrice ne fût jamais représenté, nous devons prendre un grand recul en comptant le nombre trop grand d'éléments devenant subitement très étranges et presque illogiques si l'on admet la présence de Patrice au revers de la monnaie. Nous avons également l'exemple des miliarenses lourds au revers GLORIA ROMANORVM. Comme celui ci (Fig 2):

 

                                                                        Fig 2

Photo d'une monnaie vendue le 17/05/2012 par Numismatica Ars Classica, Auction 64, lot 1364, lien vers la vente: https://www.acsearch.info/search.html?id=1275962, lien vers leur site: https://www.arsclassicacoins.com/.

Ces monnaies d'argent nous montrent comment l'empereur est figuré avec un aspect adulte. Et il ne fait donc presque aucun doute que le solidus que nous examinons montre une autre personne que Léon Ier et surtout un enfant. Nous devons alors définitivement partir du principe qu'il s'agit de Léon II. Trois possibilités s'imposent :

- Octobre à novembre 473, lorsque Léon Ier est Auguste et Léon II César.

- Novembre à janvier 474, période où les deux empereurs sont co-Augustes.

- 18 janvier au 9 février 474 où, son grand-père venant de décéder, Léon II est seul Auguste.

Le type où nous voyons deux empereurs assis avec le plus grand personnage assis à gauche est celui que l'on pense très logiquement avoir été créé entre octobre et novembre 473. La place d'honneur est à gauche (c'est-à-dire à droite du point de vue des personnages figurés) et c'est bien Léon Ier qui y est représenté. Ces monnaies comportent également un élément qui n'avait pas été noté jusqu'ici : l'emploi du marche-pied. Regardons la monnaie ci-dessous (Fig 3):


 

                                                           Fig 3

Photo d'une monnaie vendue le 12/01/2004 par Classical Numismatic Group, Triton VII, lot 1064, lien vers la vente: https://www.acsearch.info/search.html?id=157741, lien vers leur site: https://www.cngcoins.com/.

Sous le personnage de droite qui est l'enfant, nous apercevons un marche-pied. Le même objet est présent sur le solidus montrant un empereur seul (Fig. 1). Je le pense, il y connote encore le jeune âge, peut-être même très jeune âge du personnage seul. Nous observons aussi que le personnage adulte à gauche pose ses pieds au sol. Le marche-pied est connu pour des personnages adultes et en position debout mais ici il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un moyen pour l'enfant de pouvoir reposer ses pieds car ils ne touchent pas le sol. Seul un très jeune enfant n'est pas capable de toucher le sol de ses pieds lorsqu'il est assis sur une chaise adulte. Il est donc logique de voir non seulement Léon II assis sur ce solidus avec Léon Ier mais aussi d'exclure Patrice qui était de plus grande taille étant donné qu'il était déjà marié et consul onze ans avant d'être nommé César. Ce marche-pied utilisé pour le personnage debout et seul, sur notre solidus énigmatique, illustrerait donc cet enfant de sept ans, à savoir Léon II, comme il aurait été montré au public. Monté sur un marche-pied afin d'être rendu visible par le peuple à cause de sa très petite taille. Signalons tout de même que ce marche-pied n'est pas représenté sur la variante SALVS REIPVBLICAE C, RIC X n° 802.

Ce marche-pied est aussi utilisé sous les deux pieds de Léon II, ce n'est donc probablement pas autre chose qu'un moyen d'être surélevé. Et non un marche-pied utilisé souvent sous un seul pied de l'empereur figurant l'élévation, le moyen d'atteindre quelque chose ou la supériorité.

Encore une fois nous n'avons pas de preuve indubitable mais tous ces points que je soulève nous indiquent que le chemin le plus logique serait de voir Léon II en tant que seul Auguste comme le pense Kent. Un autre problème survient : l'emploi de la lettre C pour CAESAR (si cette lettre indique effectivement ce titre). Et pour ceci je peux apporter des réponses claires. Cette lettre C est présente également sur les monnaies montrant Zénon et Léon II ! Voici un exemplaire (Fig 4) :

 

                                                                        Fig 4

Photo d'une monnaie vendue le 07/11/2016 par AuktionsHaus H.D. Rauch GmbH, Auction 102, lot 613, lien vers la vente: https://www.acsearch.info/search.html?id=3449144, lien vers leur site: https://www.hdrauch.com/site/de/.

Si cet exemplaire est assez usé, il en existe d'autres de meilleure qualité qui ne laissent aucun doute sur la présence de la lettre C, par exemple la monnaie illustrée dans le RIC X, planche 27 n° 803. C'est donc un bel anachronisme que nous observons ! Léon II est assis à la place d'honneur, le marche-pied a disparu mais on peut comprendre la volonté de faire disparaître cet élément afin de grandir l'image du jeune empereur de toute manière voué à devenir adulte. On peut aussi voir la jambe droite de Zénon qui semble anormalement remontée comme si le graveur avait imaginé sa position inconfortable sur une chaise trop petite. Mais ceci ne se voit pas sur d'autres exemplaires. C'est donc à titre informatif que je signale ce point. Zénon est co-Auguste et non César, cette lettre C est parfaitement illogique et montre bien qu'elle désigne Léon II qui, bien qu'Auguste, reste du fait de son jeune âge un César. C'est à dire un empereur en attente de pouvoir exercer. Tout du moins on peut partir de cette idée. Une autre théorie est cependant possible au sujet de cette lettre C. Cette lettre a désigné clairement le mot CAESAR sur des monnaies des siècles antérieurs, citons par exemple les légendes avec NOB(ilissimus) C(aesar). Mais je propose que cette lettre pourrait signifier ici : coniunctim, c'est-à-dire conjointement ou un autre mot commençant par la lettre C et de sens similaire. L'anachronisme disparaît alors. Mais fort heureusement, si cette lettre C servait à identifier un César et donc un personnage, l'exclusion de cette « preuve » est remplacée par ma démonstration sur le marche-pied et le problème de taille et d'âge de Patrice. D'autre part nous voyons l'emploi de la même légende sous Léon Ier et sous Léon II avec Zénon, ce qui nous indique que c'est bien Léon II qui est présent à chaque fois, il ne reste guère de doute sur ce point. Toujours à propos de cette lettre C, nous voyons bien que si elle indiquait le titre donné à Léon II, alors les frappes de ces monnaies auraient de toute façon été continuées après son nouveau titre d'Auguste. Nous observons la disparition de la lettre C remplacée par une lettre d'officine. Cela ne correspond pas au moment où Léon II est Auguste, c'est à dire dès novembre car la lettre C revient plus tard durant son règne conjoint avec Zénon.

Le corpus de ces monnaies, avec ou sans lettre terminale C – laquelle n'est pas, je l'ai démontré, l'initiale de César – est trop grand pour correspondre à une période de frappe courte. Ce point souligne encore que la lettre C correspond à un terme indiquant le partage du rôle de sauveur de la République de manière conjointe. Et surtout que ce type est « immobilisé » et que l'on peut estimer que la représentation de Léon Ier peut avoir été employée après son décès.

Ce que nous devons au final éclaircir est la date de frappe de cette série où l'empereur est figuré seul. On peut proposer la période du 18 janvier au 9 février 474 où Léon II est de fait seul Auguste. Se pose alors le problème du portrait d'avers. Il ne fait aucun doute que nous y observons Léon Ier. Le portrait est adulte et il est dans la continuité du monnayage de Léon Ier. Cette effigie est d'ailleurs similaire à celles de Basiliscus et de Zénon, pour ses monnaies avant la quatrième émission. On ne pouvait représenter un visage d'enfant à l'avers. Et les fonctionnaires en charge du choix des effigies monétaires ont certainement pensé, vu son âge, que son règne effectif viendrait bien plus tard et qu'il serait associé à nouveau à un autre souverain. Il a d'ailleurs fallut moins de trois semaines pour que Zénon devienne co-empereur. Possiblement donc, nous aurions une frappe posthume montrant Léon I à l'avers laissant seul son petit-fils au revers. Mais cette lettre C indiquant un règne conjoint est alors illogique ! J'imagine donc que cette frappe intervient peu avant la mort de Léon Ier. Elle commence à représenter Léon II seul, car les proches de Léon Ier n'avaient plus aucun doute sur sa fin prochaine : Léon II allait être seul empereur. Janvier 474 ? On peut le présumer.

Il est difficile d'envisager une date antérieure, car ces frappes n'existent qu'en très petit nombre tandis que les autres solidi montrant les deux souverains sont bien plus fréquents. Cette brève série viendrait-elle alors s'inclure au milieu de l'autre où les deux empereurs sont assis ? On peut en douter. Je propose donc, à la lumière de tout ce qui a été exposé, une chronologie simple : le revers avec les deux empereurs assis où Léon II est à droite, suivi de la représentation de Léon II seul : soit en janvier 474 période où Léon Ier est moribond, soit entre janvier et février lorsque Léon II est seul souverain en titre (ce qui expliquerait le peu d'exemplaires frappés), mais alors Léon Ier est figuré au droit à titre posthume et la lettre C constituerait dès lors un « fantôme », rappelant la période du règne conjoint voulue par Léon Ier et la survivance de son héritage politique.

 

(1) Ph. GRIERSON & M. MAYS, Catalogue of Late Roman Coins in the Dumbarton Oaks Collection and in the Whittemore Collection. From Arcadius and Honorius to the Accession of Anastasius, Washington, 1992, p. 162 et cat. N° 532 et 533.

(2) J.P.C. KENT, Roman Imperial Coinage. Volume X. The Divided Empire and the Fall of the Western Parts. AD 395-491, Londres, 1994, p. 103 et 109.