Isolation d'un graveur de fausses monnaies de Gordien III

Avant de commencer, je souhaite faire la lumière sur un point qui est confondu par tout le monde et qu'il convient de corriger. La différence entre une monnaie fourrée et une monnaie saucée. Ce n'est pas exactement la même chose et il est selon moi, intéressant d'observer si une imitation est saucée ou fourrée. Une monnaie fourrée est une monnaie en métal vil (alliage de bronze ou cuivre) sur laquelle on appose une fine feuille d'argent qui, en la chauffant, vient se coller sur sur les détails. Avantages: la couche d'argent est plus épaisse et donc moins susceptible de montrer la fausse monnaie en-dessous. Une monnaie saucée est exactement la même chose sauf qu'au lieu de mettre une feuille d'argent, on la trempe dans un bain d'argent. Comment faire la différence aujourd'hui? Une monnaie fourrée aura des trous avec un léger espace parfois entre le coeur et le dessus, car les feuilles d'argent finissent par se décoller de leur support et sont donc fragiles aux chocs, d'où les trous. Une monnaie saucée a une très fine couche d'argent qui s'efface avec l'usure. Comme sur les monnaies saucées officielles qui apparaissent vers le IV ème siècle. Il y a donc des restes d'argenture sur ces monnaies, qui ressemblent à des restes de peinture (pour bien imager le visuel).

 

Le graveur (1)

 

  Mes recherches sur les monnaies fourrées ou saucées de Gordien III incluent:

  • Les différents types imités.
  • La qualité des imitations classée en groupes.
  • Le nombre de coins différents utilisés pour un type d'un groupe.
  • La technique utilisée par le/les faussaires.

En clair, je regarde les différents coins utilisés pour un même type de revers de légende et de buste (donc la même monnaie copiée) et je compare les styles. On peut déjà découper les monnaies imitant parfaitement la monnaie officielle et celles ayant un style différent. Tout en groupant les monnaies suivant leur technique de création: fourrée ou saucée, mais encore créées à partir d'un moule ou gravées etc... Ces recherches m'ont permis de trouver plusieurs monnaies partageant toutes les mêmes caractéristiques:

- La lettre R est mal inscrite et ressemble à un P avec une pointe petite et courte sortant de la boucle.

- Toujours la même légende utilisée: IMP GORDIANVS PIVS FEL AVG.

- Le graphisme du drapé et de la cuirasse.

- Les différentes monnaies imitées sont avec des dates rapprochées.

- Toutes les imitations sont dans le groupe 1, à savoir qu'elles imitent parfaitement (hors style différent)  les monnaies officielles.

Le lettrage (excepté les R) est très bon. Le portrait est toujours avec un oeil dessiné de manière simpliste. C'est à dire un grand rond contenant un plus petit. Comme ceux que l'on voit sur des monnaies officielles provenant des ateliers d'Antioche ou Siscia ou d'autres régions proches, à partir de la fin du III ème siècle. Si on dégage simplement quelques éléments qui servent de bases certaines et fiables, on peut déduire qu'il s'agit du même graveur. Ces éléments sont:

- La forme de la lettre R, le buste (le drapé et la cuirasse) qui a toujours le même style simpliste, avec de grands traits droits.

- La forme de l'oeil.

- La monnaie officielle (légende, type de buste et type de revers) toujours bien imitée (exceptée une seule monnaie).

- Les légendes et le type de buste sont toujours les mêmes

- On retrouve des associations de coins entre les différentes monnaies, notamment une liaison de coin de revers que nous verrons plus bas.

- Et enfin il semble que toutes les monnaies soient saucées.

Chaque élément prit séparément peut-être discuté, mais on retrouve systématiquement tous ces éléments ou la grande majorité sur toutes les monnaies que je vais vous montrer (ainsi que d'autres que j'ai vu).

Maintenant qu'il est évident que la même personne a travaillé sur ces monnaies, je vais aborder une chose assez particulière et compliquée mais qui, si on s'attarde à faire la lumière sur ce sujet, permettra d'en savoir bien plus sur les techniques de fabrication des imitations de cette époque. En échangeant des informations (notamment métrologiques) sur les monnaies de Gordien III avec un spécialiste de son monnayage; j'expliquais avoir tout répertorié comme je l'ai détaillé en début d'article. Ce spécialiste, me répondit que cela était inutile et que ces imitations resteraient toujours obscures. Qu'un travail permettant de faire la lumière sur ces monnaies nécessiterait un très long travail et surtout des quantités astronomiques de monnaies à analyser. J'ai répondu à mon tour, que répertorier chaque chose ne prend pas beaucoup de temps et qu'il vaut mieux entamer ce travail que de ne rien faire.

Eh bien mon cher ami, je sais que vous me lirez, et je dois vous dire qu'avec seulement un cinquantaine d'exemplaires analysés, ce travail est déjà une réussite! Puisque j'ai isolé un graveur et ses techniques de travail. Quelle technique de travail? Nous l'avons vu, les monnaies de ce graveur sont toutes saucées. Mais ce n'est pas la seule chose que l'on peut constater. Voici la chose compliquée que j'exposais au début de ce chapitre: le lettrage sur l'ensemble des monnaies est exactement le même: position écarts et forme. Seulement, il semble que les portraits s'améliorent au fil du temps. Quels éléments rendent la tache compliquée pour analyser ces données? Les coins étaient sûrement de mauvaise qualité, donc susceptibles de casser. Et le fait que les monnaies soient saucées grossièrement, semble effacer la netteté de certains détails. Quand vous regarderez les coins d'avers et de revers exposés ci-dessous, vous verrez quelques changements et même une amélioration des portraits. Sur le même coin? Il semble bien, et c'est là que l'on ne peut employer que le terme ''semble'' à cause de problèmes que je détaillais. Comment peut-on avoir une légende commençant et se terminant exactement au millimètre près par rapport au buste, ainsi que des formes de lettres et des positions exactes, alors que le portrait semble légèrement différent? J'ai pointé sur l'image ci-dessous, 10 points permettant de voir quels sont les éléments importants dans cette démonstration.

 

Comparons la monnaie de gauche et celle de droite. D'abord, on voit que la forme de l'oreille est la même, ensuite, l'oeil a deux lignes superposées au dessus de lui: la ligne de paupière et celle du sourcil. Ces deux lignes semblent aussi longues sur les deux monnaies et avoir la même inclinaison. Le drapé du buste est le même: les lignes presque horizontales ont la même inclinaison et surtout la ligne du milieu a ce léger écart qui diminue de la gauche vers la droite. Pourtant en regardant ces deux avers, nous avons l'impression que le portrait de droite est plus fin, plus proche d'un portrait d'une monnaie officielle. Surtout l'oeil qui semble différent. Tout ceci est sûrement dû à l'état des monnaies. En réalité, il est probable que ce soit exactement les deux mêmes coins. C'est la troisième monnaie qui va être vraiment différente dans son portrait. Ce tableau ci-dessous est là pour vous montrer la difficulté de savoir si nous avons en face de nous les mêmes coins ou pas. Examinons les 10 points à retenir avant d'aborder la troisième photo. (je n'ai pas pu mettre la troisième monnaie en face des deux autres car je ne dispose que d'une photo communiquée par Numismatik Naumann et la taille de cette photo est très petite, de sorte que si j'essaye de la mettre à l'échelle des deux autres, elle devient floue tant le grossissement est énorme. Voici les dix points à retenir:

1: L'écart et l'inclinaison de la lettre I.

2: la forme et l'écart des rubans.

3: La forme du C avec une grande pointe dans le bas, le O qui est petit et placé et son placement, la forme du R et sa position également.

4: La deuxième pointe de la couronne qui touche le début de la lettre R.

5: La troisième pointe de la couronne qui touche le début de la lettre D.

6: La quatrième pointe de la couronne qui se situe entre les jambes de la lettre A et un peu plus proche de la jambe gauche.

7: La cinquième pointe de la couronne qui est entre les deux premières jambes de la lettre N.

8: La forme de la lettre S qui est plus fine au milieu et dont le bas à gauche nous montre une sorte de petite virgule vers le haut. Ainsi que son écart par rapport au front et la forme l'implantation des cheveux de l'empereur.

9: Le début des cheveux qui commence au niveau de la fin de la lettre P.

10: La ligne de l'oeil qui et son placement par rapport à la lettre S.

Que remarque-on déjà? C'est le même coin d'avers, mais au delà de ma remarque sur la forme de l'oeil, je remarque que le P de PIVS sur la monnaie de droite est de forme différente. Sa boucle est plus large et descend moins fortement vers la ligne horizontale de bas, que sur la monnaie de gauche. À quoi cela est dû? Usure du coin... mauvaise impression, la fine couche d'argent qui nous trompe avec son épaisseur différente d'un exemplaire à l'autre et la lumière qui par conséquent se reflète différement. Et si je vous montre une troisième monnaie dont les portrait est indubitablement plus grossier et moins bien exécuté que celui que nous venons de voir; mais que le lettrage ainsi que la position des lettres par rapport au portrait sont les mêmes... Étrange non? regardons cette monnaie.

 

On retrouve les 10 points exposés sur cette monnaie. Donc même coin? Oui et non. Cette impression que le  portrait semble moins bon, sans détails, sans relief est simplement dûe à la couche d'argent plus importante et masquant plus les reliefs ainsi que l'usure du coin et la qualité de la frappe. Mais quelque part, se pourrait-il aussi que le graveur ai retravaillé le coin pour améliorer la qualité finale au fur et à mesure des frappes? Selon moi, oui. Si l'avers ne peut nous le prouver, le revers semble le faire. Regardons deux monnaies avec le même coin de revers SAECVLI FELICITAS.

 

Regardez la pointe de la lance. Elle est plus rapprochée sur la monnaie de droite, de la lettre L. Elle est aussi de forme différente et plus ou moins longue. Retouche du coin? Non, impossible sinon il y aurait une trace de l'ancienne gravure qui serait visible. On ne fait pas disparaître un trou sur un coin. Mais quand je vois ce même coin d'avers utilisé sur plus de deux types différents, je pense que le copieur avait une base de travail (un moule?), qu'il retravaillait ensuite à la main afin d'approfondir les détails. Imaginons que la pointe de la lance ne se soit pas bien imprimée sur l'original, il a donc inscrit ce détail dans le coin ensuite, sans que son travail soit exactement le même résultat sur les deux coins. Vous doutez que ces deux revers soient issus de la même base? D'accord, regardez le P et le M de PM au début de la légende. Le P a exactement le même forme, la boucle est triangulaire et la base de la lettre de même forme et longueur et positionnée de la même manière par rapport au M. Le M quand à lui, a le même surplus de métal en son milieu! La même forme également. Et il y a d'autres éléments que je n'ai pas jugé comme indubitables et donc écartés (méthode scientifique d'exclusion des éléments non certains à 100%). Ces élément sont quasi certains mais l'état des monnaies (sans compter qu'il me faut juger sur deux photos dont la lumière peut nous tromper) ne permet pas d'en être sûrs. Regardez par exemple, la tête du personnage, son nez et sa bouche... il semble bien que la tête est exactement la même, le même angle entre le nez et la bouche...

Qui étaient ces copieurs qui créaient eux mêmes les coins? Ont-il travaillé dans des ateliers? Il faut tout de même un minimum de connaissance ou en tout cas l'habitude de voir des graveurs à l'oeuvre, pour pouvoir produire un travail, même peu évolué. Imaginez vous à sa place, seriez vous capable de faire un résultat similaire (même si il est peu évolué)? Probablement pas.

Vous vous posez sûrement plusieurs questions: pourquoi je parle de moule alors que les exemplaires sont frappés? Je pense que le graveur s'était créé des ''matrices'' avec des moules à partir de son premier travail. Ce qui peut explique donc aussi l'autre question que vous vous posiez, pourquoi parler d'un moulage d'une monnaie officielle alors que ce coin a été créé entièrement? En vous exposant tous ces points sur ce que j'ai découvert, je vous ai guidés à travers mes idées, mes doutes et les preuves qui sont venues confirmer ma pensée. Car oui, je me suis aussi posé au départ, les questions que j'évoquais quelques lignes au-dessus. Mais je cherchais comment il était possible d'avoir 3 monnaies avec un portrait légèrement différent et une légende ainsi qu'un drapé similaires à 90% et surtout 2 revers dont le seul changement se situe dans la longueur de la lance?

Pour conclure, il faudrait pouvoir analyser les trois monnaies en les ayant en main, ce qui sera donc impossible étant donné leur localisation et qu'elles appartiennent à différentes personnes très éloignées les unes des autres. Cependant, je pense que ma théorie est suffisamment appuyée pour être crédible. Une matrice antique? La question se pose et est à considérer comme probable.